» Blottie au fond de la taupinière, l’enfant entend venir un bruit de pas. Les taupes se serrent autour d’elle, forment un rempart de velours noir. Elle les a toutes sauvées de la bêche assassine qui les menaçait dans le potager. Certaines l’ont mordue jusqu’au sang pendant qu’elle les transportait. L’enfant n’a pas bronché. Elle aime ces petites bêtes soyeuses qui creusent en aveugles leurs dédales secrets. Dans le rêve de l’enfant, la taupinière est baignée par la douce chaleur d’un soleil inversé, qui brille sous terre, parmi les bulbes et les racines. Le pas s’approche, il bute sur les mottes de terre du champ de blé tout juste moissonné. L’enfant risque un œil au dehors. Perché sur ses talons aiguilles, son père marche d’un pas incertain parmi les épis de blé drus et blonds comme ses cheveux. Il porte une robe cintrée mal ajustée sur ses hanches, des collants fins tirebouchonnant sur ses mollets, une perruque de longs cheveux bouclés. Sa carabine en bandoulière, il approche. Le cœur battant, l’enfant se terre. Le canon de l’arme apparaît dans le trou de la taupinière, et dans le viseur, l’œil bleu métallique du père. Le coup part, la taupinière vole en éclats. Les taupes sont hémophiles, une égratignure suffit. Pendant que l’enfant agonise, son père s’éloigne de son pas dandinant, son arme à la main. Dans la terre, le soleil s’est éteint. »
La forêt mémoire, Maelström Editions, Chantal Deltenre
Contact : librairiewb@gmail.com (Librairie Wallonie Bruxelles à Paris) ou maelstrom414@maelstromreevolution.org (Editions Maelström à Bruxelles)
Ecrire en marchant 