Le jardin des longues peines…
J’arrive un peu tard, la nuit tombe. Deux détenus m’attendent à l’entrée. Ils ne sont pas très à l’aise. Leur jardin donne sur un des anciens murs de la prison. Ils sont forcés de couper les arbres fruitiers qu’ils font pousser à côté, pour ne pas susciter les soupçons d’évasion. En me présentant chaque plante qu’ils cultivent, ils en évoquent les vertus curatives : feuilles de goyaviers, de citronniers, de corossols, fleurs d’hibiscus, sève de bouraos, une plante entière appelée abreuvade, écorces de pommiers kanaks ou de l’aloès sous toutes les formes, servent à soulager de multiples maux. Les feuilles de croton appliquées sur les oreilles ou sous les bras sont des protections contre les agressions magiques, et la sève de coleus éloigne la maladie et la mort. « Si l’on tombe malade, il faut accomplir un rite et se badigeonner le corps avec sa sève », dit un des deux détenus. Les auxiliaires préparent des remèdes pour de nombreux détenus. Ils les font passer par des élèves avec qui ils communiquent par les fenêtres des salles de classe ou par les participants à l’atelier de sculpture. Je me demande pourquoi ces remèdes ne pas sont diffusés ouvertement dans le centre de détention, vu les profondes réserves des détenus à l’égard de la médecine occidentale.
L’agent de détention qui m’accompagne s’impatiente un peu. Je prends congé à contre cœur. Le second détenu me demande d’attendre un instant et m’apporte deux superbes papayes. Je lui serre chaleureusement la main…
Extrait d’un journal d’enquête ethnographique en 2016 au Camp Est, centre pénitentiaire de Nouméa, Nouvelle-Calédonie/ Paru en 2022 aux Editions Anacharsis – Chantal Deltenre